“En 40 ans de carrière, je n’ai jamais vu un échec aussi complet des mécanismes de contrôle d’entreprise et une absence aussi complète d’informations financières fiables comme cela s’est produit [avec FTX]”, plateforme centralisée d’échange de cryptomonnaies qui a fait faillite ce mois de novembre. C’est par ces paroles insolites, voire choquantes, que John Ray III, expert en restructuration d’entreprises en faillite, qui reprend les rênes de FTX, résume, dans un rapport judiciaire publié jeudi 17 novembre, la situation de l’entreprise.
Dans ce rapport déposé jeudi auprès d’un tribunal des faillites du Delaware, M. Ray, qui a géré la liquidation du géant de l’énergie Enron à partir de 2001, dévoile des détails étonnants sur le comportement managérial de Sam Bankman-Fried, fondateur de la plateforme, et ses proches collaborateurs. Utilisation d’applications de chat pour valider des transactions, transfert de grandes sommes dans les comptes personnels du fondateur et de ses conseillers ou encore l’achat, avec les fonds de la société, de biens privés… La liste est longue !
Le rapport de Ray évoque un “échec sans précédent“. De toute son expérience dans la restructuration d’entreprises, il affirme “n’avoir jamais rien vu d’aussi mauvais”. L’expert américain souligne une “intégrité compromise des systèmes”, une “surveillance réglementaire défectueuse”, une “concentration du contrôle entre les mains d’un petit groupe d’individus inexpérimentés, simplistes et potentiellement corrompus”. John Ray III a été nommé juste avant la faillite de FTX et la démission de son directeur général, Sam Bankman-Fried, qui se trouve actuellement aux Bahamas, où FTX avait son siège social.
“Défaillance historique dans la gestion de la trésorerie”
Le rapport de l’expert américain, qui a exprimé des “préoccupations substantielles” sur les déclarations financières de l’entreprise, révèle qu’une partie importante des actifs détenus par FTX serait “manquante ou volée”.
John Ray explique que “les conseillers ne savent pas encore combien d’argent FTX Group avait lorsque la société a déposé son bilan”. Il indique avoir trouvé, jusqu’à présent, environ 560 millions de dollars appartenant à diverses entités de FTX. Le Financial Times fait plutôt état d’une somme de 740 millions de dollars, mais ceci reste tout de même qu’une “fraction des 10 à 50 milliards de dollars de passif que la société a divulgués dans son dossier de mise en faillite”.
John Ray déclare “ne pas avoir confiance” dans les informations fournies jusque-là dans les états financiers audités. Les liquidateurs tentaient encore de retracer les différents bilans des entités FTX. Il cite l’exemple du fonds spéculatif de ce dernier, Alameda Research LLC et ses états financiers réalisés sur une base trimestrielle. “À ma connaissance, aucun de ces états financiers n’a été audité. Le bilan du 30 septembre 2022 d’Alameda indique un actif total de 13,46 milliards de dollars à sa date. Cependant, étant donné que ce bilan n’a pas été vérifié et qu’il a été produit alors que les débiteurs étaient contrôlés par M. Bankman-Fried, je n’ai pas confiance en lui et les informations qu’il contient peuvent ne pas être correctes à la date indiquée”, explique-t-il encore.
La faute à une “défaillance historique de gestion de trésorerie”. Son rapport fait savoir que le montant exact de trésorerie détenu par le groupe FTX est inconnu, la plateforme n’ayant pas mené un “contrôle centralisé de sa trésorerie” et “n’ayant même pas tenu de liste précise des comptes bancaires et des signataires de compte, ni accordé une attention suffisante à la solvabilité des partenaires bancaires”.
M. Ray a également dénoncé les déclarations “incohérentes et trompeuses” de Sam Bankman-Fried depuis sa démission, soulignant que celui-ci ne parlait plus au nom de FTX.
Des décaissements approuvés… sur des applications de chat
Un comportement qui ne permet pas aux liquidateurs ni à John Ray de savoir combien d’actifs détenait FTX Group au moment de déposer le bilan. Surtout lorsque nous apprenons, à travers ce rapport, que “les paiements de l’entreprise étaient autorisés via une plate-forme de chat en ligne où un groupe disparate de superviseurs approuvait les décaissements en répondant avec des emojis personnalisés“.
La gestion de la trésorerie n’est pas le seul point sombre de la gestion de la société par Bankman-Fried. La liste complète des personnes qui travaillent pour le groupe est inexistante.
De nombreux employés et cadres supérieurs du groupe en faillite n’étaient pas au courant des lacunes de gestion, ni même du mélange potentiel d’actifs numériques. Pourtant, ils pourraient être certaines des personnes les plus impactées par cette faillite. Par ailleurs, Bankman-Fried communiquait avec eux en utilisant des applications configurées de manière à supprimer les messages automatiquement après une courte période de temps.
Certaines transactions sont également suspicieuses, selon John Ray, qui évoque l’octroi par Alameda de 1 milliard de dollars de prêt à Bankman-Fried, en son nom personnel. Le rapport judiciaire cite également l’achat, avec des fonds du groupe, de maisons et d’autres objets personnels pour les employés et les conseillers.
Fraude et une mauvaise gestion grave
Le rapport de Ray intervient après le dépôt de bilan effectué par des liquidateurs de FTX issus de Bahamas. Le texte affirme que les conclusions à ce jour “mette en cause une fraude et une mauvaise gestion grave” par les dirigeants du groupe.
Il liste également d’autres faits étonnants. Citons, entre autres, les nombreuses entités avec lesquelles FTX n’a jamais eu de réunion de conseil d’administration.
L’effondrement de la société FTX avait ébranlé le marché de la crypto-monnaie. Des enquêtes réglementaires internationales ont été lancées et des investigations à l’encontre de la société et les célébrités qui en ont fait la promotion – notamment la joueuse de tennis Naomi Osaka, le mannequin Gisele Bündchen et la légende de la NBA, Shaquille O’Neal – sont en cours.
Bankman-Fried affirme, quant à lui, que la société est toujours solvable. Il a également donné des interviews dans lesquelles il a déclaré qu’il regrettait d’avoir déposé le bilan et d’avoir attaqué les régulateurs. Les autorités américaines envisageraient de l’extrader vers les États-Unis.